La mère, l’arbre et l’enfant

    Sans doute répondant à quelque mystérieuse injonction, l’enfant s’est arrêté devant l’arbre dont il a imaginé l’aspect, personnalisé formes et couleurs, calculé la circonférence, entrepris l’escalade, compté les oisillons qui s’y nichent.
    D’un coin de sa fenêtre, sa mère l’observe, un crayon à la main, évoquant à voix haute une chaude gerbe de souvenirs.
    En elle la grâce et la beauté qui manquent à l’arbre, en elle le cyclone qui le couchera, la crue qui le noiera, et plus tard peut-être, la récolte des fruits.
    Vaincue par la somnolence de ce début d’après-midi, elle relâche esprit et corps, abandonnant le tracé millimétré de la distance qui la sépare de son fils.
    Au bout du dessin inachevé, juché sur une grosse branche, l’enfant rit, tandis qu’une des roues de sa bicyclette, qu’il vient de renverser au pied de l’arbre, tourne encore dans le vide.
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Le chant de Silène

    Du fin fond de la mer, une vague accouche. Elle pousse, flux et reflux, tente d’extirper de son sein la vie qui l’empêche de prendre son vol. Enfin, dans un soupir, elle hoquète sur la plage poissons, algues et chimères.
    C’est ainsi que l’écume, débarrassée du fretin qui l’appesantissait, accroche à son retrait le roc sévère d’un temps oublié. On se fraie un passage sur une corniche grouillant d’écrevisses.
    On évite  les pinces, on porte en étendard les plumes des vaisseaux d’argent échoués. Sur la grève, on débarrasse la table, on retire la nappe, on enterre vives les arrêtes déjà recourbées, sous le chant de Silène. À la prochaine marée, rien ne subsistera.
    Face à l’horizon que mangent la houle et le vent, tu grelottes, à peine réjoui par le souvenir de ta pitance, et tu lis, une jeune astérie épousant ton visage.

 

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Le berceau des peines

   Marcher sur un quignon de lune, entre nuit et jour. Plonger dans le berceau des peines, la cosmogonique noirceur. Le fil est tendu au-dessus de l’abîme. Piètre funambule aux orbites écartées, il progresse en pointant du doigt une étoile, devenue naine, et blanche.
   Son espace est réduit au silence, ses rêves endoloris se cognent contre les murs raisonnants. Mais il dévide sa bobine, maille à l’endroit contre les revers de fortune. Insensible à l’appel du gouffre, il chemine, berger guidé par son astre.
   Voilà qu’il entame une danse improbable, faite de pauses et de tourbillons, avec son étoile évanouie, mais dont il interprète les jeux de lumière. Celle qui danse sait se montrer bonne cavalière, encore que sa pantomime souffre d’un troublant décalage, qu’il ne parvient pas à combler.
   Alors il adapte son pas, et toujours prévenant, éponge la voie lactée, éloigne les nuages, attise les rayons du soleil, écartant le rideau des ténèbres. L’aube dorée l’enveloppe, réchauffe ses maigres épaules. Ayant empoigné un petit marteau suspendu à son cœur, et porté par un zéphyr, il frappe doucement. Clouée au firmament, son étoile ne filera plus.

 

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La rouille de l’horloge

   Fantômes ordinaires, se mouvant dans la discrétion du jour blanc. Pas d’aboiements en représailles. On dit que les paupières se ferment, quand le gel sépare les rocs en deux.  
   J’ai tendu l’oreille au murmure des herbes glacées, j’ai traversé les cours aux pavés bleuis. Sous les draps, le néant. Dans le cloître, j’ai récité mon bréviaire en silence.
   Muscles du ciel endormis. Aucune épouvante dans les cellules. Des rêves s’éteignant, j’ai tenté d’attiser la flamme. À tous les cierges en fonte, la cendre colle, et collent les mouillures aux lits gigognes.
   J’ai piétiné les gisants, brisé les colonnes. J’ai respiré pour la première fois l’odeur de sainteté. Au fond d’un puits rouille l’horloge.

 

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La négociation

   À cheval sur la table bancale, le dieu argent. (J’attends que se négocie ma mélancolie).
   Sur l’écran, l’épaisseur de la vacuité ambiante. J’en arrache une pellicule, grasse comme un travers de porc. (Les jambes croisées, je martèle les billets).
   Qu’ai-je à perdre ? Peut-être une définition de ma faiblesse, un ersatz de douceur.
   J’étire ma taille élastique, j’opère un renversement d’attitude. Les planches s’éparpillent, les sommes s’affolent. (Au sol, les chiffres prennent la fuite).
   Et je me désole de n’en conserver un seul, qui m’aurait permis d’évaluer mon trouble. (Je rentre les poches vides).
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Volcan

   La terre crache une dernière fois. Du bleu, du rouge, du jaune dans ton assiette, et des iguanes qui sortent la tête du feu. (La fourchette est posée à gauche de l’assiette, sur la nappe à carreaux rouges et blancs).
    Sur le dallage de marbre, les épines dorsales soigneusement alignées. Dans l’évier, la passoire repose à l’envers. Tu fais craquer tes doigts. La lame du couteau vibre, plantée dans la table.
    Quand tu saisis ton verre, tu t’attardes sur le liquide orange qui l’occupe à demi, et dont tu remues le dépôt violacé. Tu observes l’impossible progression des reptiles sur les parois lisses du godet, et tu ris de la vanité de chaque tentative.
    Tu repousses ta chaise, tu débarrasses la table, tu plies la nappe. Les iguanes tombent dans l’évier. Les lianes rampent sur les briques. Au mur, les miroirs sans tain se fendent.
   (…) Sois précis quand tu quittes la cuisine. Va exactement là où tu avais prévu d’aller. Oublie le volcan, oublie le feu, oublie les îles, prépare ton esquif, dérive à la faveur du courant de ce jour.
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Nouveau départ

   Il est passé à toute vapeur le collège d’insectes cisailleurs, devant mes yeux muets et froids comme une boîte d’épingles à nourrice. J’ai suivi leur sillon jaune sable, avec pour tout bagage un sac de blé râpé.
   J’ai ensemencé les rayons ternes de l’essaim, j’ai offert mon sang aux larves avides. J’ai souhaité offrir les parcelles de mon être à la terre nourricière, lui offrir aussi le suc des purulences de mon âme éperdue.
   Méticuleusement placée entre deux fémurs inertes, ma Liberté dormait là, vulnérable, et je m’étonnai de ce que sa récupération me parût si aisée.
   Délaissant mon sac,  j’ai contemplé ses courbes boréales, sa jeunesse éternelle. Puis j’ai flétri sa chair au fer, entravé ses aspirations, pour m’abandonner au gré des pensées conformistes.
   C’est là que cent fois j’ai battu ma coulpe, rompu aux élégies qui appauvrissaient mon ciel, tandis qu’un vrombissement emplissait déjà mes tympans, imparable signe d’un départ imminent, commode dérobade à ma désolante solitude.
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Hallali

   Par un vigoureux bombement du torse, j’ai bravé les rires qui fusent des fenêtres, j’ai forcé l’accès aux écrins de verdure, j’ai happé les pestilences citadines.
   J’ai rassemblé en écheveau les ombres funèbres, j’ai éclaté sous mes semelles les racines théâtrales. Mes hurlements flétrissent les sémaphores. (Dans la rue, les trottoirs se sont arrêtés, rivés aux murailles à peine écloses).
   Vous m’avez intercepté à hauteur d’un dos d’âne en charpie, vous m’avez sommé de me taire. Mais j’ai sonné l’hallali jusqu’à la lie, faisant pleuvoir des pantins de cire. (Deux écureuils se disputent le gland du futur).
   J’ai arraché les clous des passages, j’ai cautérisé les plaies goudronnées. J’ai gravi les façades bétonnées et brisé les vitres blafardes. (Des cheminées de marbre s’échappent les fruits croquants du charbon).
   Juché sur une gargouille d’où vagit une gouttière de vinyle, j’ai harangué une foule monochrome, occupée à ne voir, ni entendre.
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Concrétion

   Ils sont occupés à placer des parpaings à la base de leur drame, glacés mais forts, robustes au soutènement. (Dans un coin de leur tête, la conception du remblai).
   Longtemps environnés d’insouciante douceur, ils ont été contraints de crever la gangue qui les maintenait hors des cyclones.
   Des pleurs qui n’ont cessé de sillonner leurs joues, ils tirent encore des concrétions aux vagues formes de chevrotine, qu’ils jettent sans élan à la face du monde.
   Bien qu’encarcanés dans le vice d’un cercle de contournement, ils ont su conserver le nectar de leur inclinaison de cœur, repère olfactif de leur plume, gage de liberté.
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Les forçats de l’Amour

   Ils sont passés au crible, les forçats de l’Amour, accrochant à la nuit de maigres lunes floues, pelures de papier, où tarit pour toujours l’encre de leurs émois, philtre caché, marteau sans tête. (Deux merles moqueurs regagnent leur nichée).
   Ils ont souffert la chair, dérivant jours et nuits, le cœur conformé au rabot, exposé sur l’étal public. Lourds nuages chargés de menaces, paupières tremblantes, douche glacée. (Le bec gratte la terre).
   Ayant compris que le temps coulerait pour eux, ils ont bu l’orage, accueilli la grêle, rivé leurs yeux au quatrième niveau du ciel, attentifs à la réponse de l’empyrée. (La femelle fait le guet devant la couvée).
   Rémiges emmêlées, ils se retirent dans leur antre, à l’abri des vents et des marées. Sur les parois sèche la pluie. Cris suspendus, bras ouverts, herbe tendre sous les pieds. (Sous les ailes étendues, les oisillons se blottissent).
   Savent-ils que leurs mots, semés au cœur d’un brasier, fertilise déjà la terre qu’ils s’apprêtent à fouler ? (Au-dessus du vaste champ de ruines, l’oiselet attend la becquée).
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